Cliquez
sur l'image
|
Les mangeurs de cuivre
Nous savons maintenant
que le cuivre produit par les fondeurs indigènes du
Katanga parvenait déjà au XVI e siècle jusqu'à la
côte Atlantique de l'Angola et de là en Europe :
<< twasabikile kumpuani >>, << nous
avons percé jusqu'à la mer >>, disait un ancien
qui avait fait le voyage: un voyage d'un an et demi !
Vers le nord, on en retrouve la trace depuis la Côte
d'Ivoire et le Ghana jusqu'au Soudan. A l'est et au
sud-est, il avait depuis longtemps atteint l'Océan
Indien et l'on prétend qu'il aurait été exporté
jusqu'aux Indes. Depuis une époque imprécise, la
croisette katangaise servait de monnaie sur un vaste
marché d'Afrique tropicale. La puissance d'achat du
cuivre était à peine inférieure à celle de l'ivoire:
une grande croisette de 50 kg (mwepu) représentait le
prix d'une femme, mais la tradition précise qu'il
fallait ajouter une petite croisette à la grande quand
la femme offrait des qualités exceptionnelles ! On a
essayé de chiffrer cette production historique. De
l'époque de l'invasion Bayeke (1850) à l'arrêt
définitif de l'exploitation indigène en 1903, on
évalue entre 10 à 15 tonnes par an, soit environ 700
tonnes pour ce demi-siècle d'activité. Mais depuis
quand le sol katangais avait-il livré son secret ? Nul
ne le sait.
LE METIER de fondeur était
un métier sacré empreint d'une mystérieuse grandeur.
La profession était une "bwanga", une secte,
ce qui suppose une admission et une initiation. On
retrouve ici la loi de la division du travail et
l'organisation spontanée en corporations de métiers
semblables à celle du Moyen Age européen, comprenant
maîtres, compagnons et apprentis et possédant code,
status, privilèges et devoirs. La corporation avait, ses
secrets professionnels, ses traditions, ses rites
superstitieuxs qui se mélaient étroitement à la
technique du travail. Le sorcier avait, à juste titre,
son mot à dire: l'instant où le beau minerai
d'émeraude se change mystérieusement en liquide
éblouissant ne tien-il pas de la magie ? C'est celui où
les esprits de la montagne montrent leur puissance: ils
touchent la pierre et en tirent la richesse: le liquide
précieux, l'eau de cuivre, "meme a mukuba" !
Les chants à leur paroxysme clament dans la nuit: "
Sur le sommet de Kalabi se dresse en haut fourneau un
haut fourneau au large ventre héritage de notre père
Lupadila, un haut fourneau où le cuivre dégouline et
ondoie. Oh, ma mère, oh, ma mère ! "
LA CAMPAGNE de cuivre
s'organisait à la saison sèche, après la récolte du
sorgho, vers la mi-mai. Le chef du village en donnait
lui-même le signal : "tuye tukadie mukuba",
"allons, disait-il, manger le cuivre !". Car
manger c'est se nourrir, se développer, s'enrichir. Les
mines étaient, comme la terre cultivée, propriété
collective de la tribu, seul les puits creusé ou la
carrière ouverte appartenait en propre à l'individu ou
au groupe d'individus qui y travaillait. Tout le monde
partait à la récolte du minerai: les femmes et les
enfants glanaient en surface la malachite, seul minerai
retenu pour sa richesse et appelé "lutete".
Les hommes creusaient au pic. Certianes excavations
atteignaient jusqu'à 35 mètres de profondeur mais
généralement elles ne dépassaient pas 10 à 15
mètres, les galeries les plus étendues allaient
jusqu'à 20 mètres.
LES OPERATIONS métallurgiques
proprement dites ne commencaient que vers la mi-août
après trois mois d'extraction. La fusion se prolongeait
jusqu'en octobre. Dans des hauts fourneaux volants ou
permanents, confectionnés à l'aide de la terre de
termitière - cette précieuse matière réfractaire si
providentiellement répendue au Katanga - alimentés en
buchettes et en charbon de bois, et activés par des
soufflets en peau d'antilope, les " amgeurs de
cuivre " procédaient tout d'abord au grillage puis
à le réduction propement dite du minerai et enfin, dans
un autre fourneau au raffinage du cuivre brut et à la
coulée des lingots. Les lingots de la zone ouest coulés
en forme de croix de Saint-André, les
"croisettes", servaient tels quels de monnaie.
Les Bayeke, dans la région du centre, transformaient
leur cuivre en fil, houes et balles de fusils. Ce
tréfilage étaient d'une grande ingéniosité. Il se
faisait plusieurs opérations. Un lingot de 15 cm d'abord
étiré par martelage à chaud sur une enclume de pierre
pouvait ensuite être tréfilé dans un filière en fer
(dikombe) jusqu'à 15 m, donnant le gros fil (kiumba)
dont on faisait les bracelets servant à l'échange. Mais
il pouvait encore être réduit jusqu'à un fil de 2 mm
(kwebele) et même de 5/10 de mm (msambe) pour la
confection des fameux "mutuga", bracelets de
mince fil de cuivre enroulé sur une âme de fibres
souples.
LES MAITRES Basanga sont les
plus anciens "mangeurs de cuivre" connus. Tout
comme aujourd'hui, il y eut au Katanga trois centres
principaux d'exploitation, mais qui furent florissants à
des époques différentes: celui du sud-est, celui du
centre entre la Lufira et le Lualaba, celui de l'ouest.
De nombreuses mines de l'Union Minière furent ainsi
exploitées jadis par les "mangeurs de cuivre"
avant d'être abandonnées par eux au début du siècle,
à commencer par la célèbre mine de l'Etoile. Et là
où retentissent aujourd'hui les incantations mécaniques
de la puissante industrie moderne, à Kipushi, Shituru,
Kambove, Kakanda, Kolwezi, Musonoi, on peut, en fermant
les yeux, imaginer un instant le passé: "les
sorciers prononcent les paroles magiques. Les chants
rituels s'élèvent dans la nuit mystérieuse. Les danses
rythment le travail qui se déroule comme un
office...", et l'invocation des ancêtres a gardé
toute sa signification: "Vous nous avez
devancés..."
|