Le saviez-vous ?

 

TAM-TAM

Chaque mois lorsque la Lune atteint son plein épanouissement, les cités et les villages de brousse entrent en effervescence. Les Congolais manifestent leur joie par des danses au son du tam-tam.

Celui-ci, dont nous sommes habitués à entendre le battement et qui, si j'ose ainsi m'exprimer, berce notre sommeil, est un instrument aussi vieux que l'Afrique.

A l'heure actuelle, le tam-tam sert, comme il a toujours servi, d'accompagnement aux démonstrations chorégraphique du Congo. Naguère, il était également le "téléphone" qu'utilisaient les tribus pour transmettre des messages.

A notre époque, la voix du tam-tam n'est plus employée que dans les régions éloignées pour diffuser les nouvelles.

John F. Carrington, dans une belle étude qu'il a faite à ce propos, décrit cet instrument.

"Le tam-tam téléphone du Congo, écrit-il, est généralement taillé dans un arbre au bois rouge, dur et résonnant: le tronc est évidé, une ouverture aux bords d'épaisseur inégale permettant d'émettre les sons par battement de mains, de poings ou de mailloches".

Il nous explique ensuite de quelle manière e fait la transmission des messages: "Ecoutez bien cette voix: elle n'a que deux notes, l'une aiguë et l'autre grave. La voix mâle et la voix femelle, disent les opérateurs de cette T.S.F. africaine.

"Comment se peut-il que deux notes soient suffisantes pour envoyer n'importe quelles nouvelles ? Pour un Congolais c'est aisé de comprendre la voix du tam-tam, mais pour l'Européen, peu au courant des dialectes Congolais, la chose est plus difficile. Cependant, il y a des blancs qui sont parvenus à déchiffrer le code mystérieux et qui servent pour envoyer eux-mêmes des messages".

"Notre incompréhension réside dans le fait que les langues que "parle" le tam-tam sont des langues tonales, essentiellement orales : lorsque nous essayons de les représenter par des caractères imprimés, une partie essentielle nous en échappe, car la mélodie de la prononciation y est aussi importante que les voyelles et les consonnes".

"Dans ces langues, un mot peut avoir plusieurs significations selon que ses syllabes sont prononcées sur un ton aigu ou grave. Par exemple, en dialecte lokele, le mot lisaka veut dire "le marais", ou "la promesse", ou "le poisson" selon la mélodie de prononciation. Le mot liala veut dire "une fiancée" ou bien "un tas d'ordure" : imaginez les conséquences d'une confusion entre les mélodies de prononciation de ces deux derniers mots..."

"Quand le tam-tam parle", il ne reproduit pas les voyelles et les consonnes de la langue ordinaire du peuple, mais au moyen de ses deux lèvres inégalement épaisses, qui émettent deux sons distincts, l'un grave, l'autre aigu, il ne donne que la mélodie de la prononciation des mots. Celui qui entend les premières mesures d'un chant national reconnaît facilement le chant entier. Bien que ceci ne soit pas une analogie exacte avec le tam-tam africain, on peut cependant dire que les Congolais qui entend une mélodie jouée sur les deux notes du gong se rappelle de la même façon les mots sur lesquels est basée la mélodie.

Dans cette "langue", la personne, l'objet ont un nom qui les caractérise. Il en est de même de l'administateur ou du missionnaire.

Lorsqu'un blanc de mauvais caractère se rend dans un village, son arrivée est annoncée et la phrase suivante est l'indicatif qui ne trompe personne : "Il ne faut pas toucher à la chenille venimeuse".

Empruntons encore à J.F. Carrington les notations savoureuses qui suivent : "Le poste transmetteur du village se trouve souvent devant la case du chef. Quelquefois ce dernier s'accroupit devant un tout petit gong dans sa cour et bat les nouvelles qu'il veut annoncer au village. Un batteur expérimenté se penche au-dessus de l'immense gong principal et répète les dires de son maître, tout comme un écolier qui écrit sous la dictée".

"Il y a également des "gongs" privés et beaucoup de gens du village savent battre les petits instruments pour règler leurs affaires personnelles. Ainsi, lorsque l'époux, affamé par une journée de travail, rentre à la maison et que sa femme n'est pas encore revenue de la forêt, il la rappelle au moyen du gong : Ma femme qui est au jardin, - amène tes pieds au village, - apporte-moi du manioc et des bananes apporte-moi de l'eau fraîche, - car j'ai faim et soif... - Dépêche-toi... Dépêche-toi..."

"En Afrique centrale, le gong peut même remplacer les billets doux. L'Européen hésiterait devant une façon aussi publique de déclarer son amour, mais rappelons-nous que rien n'est réellement privé en Afrique"

"Tout d'abord, l'amant enduit les mailloches d'une potion achetée chez le sorcier. Selon les dires de nos amis congolais, ce médicament magique rendra les paroles du gong irrésistibles. Puis il bat sur les lèvres de l'instrument ses pensées galantes :"

Ma bien-aimée, - mon coeur bat furieusement - comme ce gong, - pour toi, pour toi.

"Depuis l'arrivée des Européens au Congo, le gong a dû s'adapter aux besoins de la civilisation occidentale. Pendant des siècles, il a parlé des pirogues indigènes en disant : "Le tronc de bois mort par lequel on marche sur l'eau...", Mais maintenant le mot "vapeur" doit entrer dans le vocabulaire du tam-tam téléphone : il s'appellera : "La pirogue, grande comme l'éléphant, et qui appartient à l'Européen...".

"Malheureusement, la nouvelle génération congolaise ne prend aucun intérêt à cette méthode ingénieuse de transmettre les nouvelles".

Pour les jeunes gens d'aujourd'hui, les lettres envoyées par la poste valent plus que les messages chantés du tam-tam. Ils convoitent la sagesse de l'Européen et méprisent les connaissances de leurs pères. Dans beaucoup de villages, les gongs deviennent vieux et ne sont plus remplacés par de nouveaux instruments.

Il est malheureusement indéniable que d'ici quelques années toute la poésie de la téléphonie en brousse aura complètement disparu dans presque toutes les régions congolaises.

Seul le tam-tam de danse résonnera encore, avant d'être étouffé lui aussi, par le poulpe de la civilisation ses pick-up, ses radios... tellement moins fatigants.

Extrait Extrait de la revue "Haut-Katanga" N° 39 - août 1957

lubumbashi@free.fr

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